K’Roll Coq nous a quittés
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Ben voilà cher Alain Meyer, alias Karol Vengeance, alias Coq, maître chancreur émérite des Bernadette Soubirou (sans S siouplait) et ses apparitions dont j’ai partagé la vie scénique de 1985 à 1989, tu n’inonderas plus les bouges, les squats, les clubs, les scènes diverses et avariées, par ta gouaille légendaire, tes textes à double sens au profondeur insondable que tu savais distiller avec un humour potache.
De cette vie si dissoluble, tu aurais dû y mourir déjà des dizaines de fois avec tout ce que ton corps a subi comme outrage à géométrie invariable La reconnaissance n’a jamais été à la hauteur de ton talent, j’en éprouve une certaine peine pour tout ton travail accompli sans suffisamment de satisfaction. Si le mérite est une nécessité, elle aurait dû y faire un large creuset pour t’accueillir.
Il y a peu, je t’ai appelé, parce qu’on m’avait dit que ça sentait pas bon pour ton blase. Tu m’as décris tes quatre derniers mois passer à l’hosto, ton corps qui ne répond plus, ta perte de poids vertigineuse, ta souffrance au delà du supportable, mais on a causé avenir, parce que le souffle de la vie a cette acuité de donner de l’espoir. Alors, il fallait que je te trouve un tourneur pour encore et encore donner des concerts. Je t’ai dit que lors d’un de mes prochains passages à Paris, je passerais te visiter pour qu’on en cause. Je n’ai pas eu la force, pas le courage de venir te voir, de peur, une fois de plus dans mon existence de celui qui en voit tant partir, de ne plus voir le Coq que j’ai connu, plein d’entrain, d’un humour vivace et tranchant, à la vitalité indestructible.
J’ai pensé trop à ma gueule, bien plus qu’à la tienne, qui aurait été heureux d’une petite visite, toi qui en recevait peu, sauf celle de ton fils retrouvé sur le tard, si fier de son père, ce qui te revigorait profondément.
Désolé Coq, j’ai manqué à mes devoirs et je ne suis pas fier de ce dernier rendez-vous manqué.
On se retrouvera bien quelque part non ?
Texte de Stef Gotkovski
Les obsèques de Coq auront lieu jeudi 5 septembre.
14h, salle Maumejean, crématorium du Père Lachaise.
Message de Glady, sa petite soeur :
"Nous souhaiterions que vous portiez quelque chose qui nous le rappelle, le choix est large ; marinière, perfecto, chapeau, plumes, pince à linge, grosses bagues...etc... tout ce qui vous passe par la tête et qui pourrait être fun ! Rien est imposé.
Si quelqu’un souhaite se manifester par un texte ou une chanson, n’hésitez pas à me contacter en mp (...)"
Glady Durney Meyer
Texte d’Olivier Chauvin lu durant la cérémonie d’obsèques jeudi 5 septembre au Père Lachaise
Ça remonte à loin nous deux. Très loin.
Ça remonte à ce mois de juin 1982 quand tu sonnas à ma porte parce que tu m’avais entendu m’époumoner dans mon saxo ténor. J’avais 13 ans. Tu en avais 20. Toi tu débarquais de Bourgoin-Jallieu, pas loin de ton bled de Montalieu et tu venais d’emménager dans mon immeuble de la rue du Vertbois à Paris. Tu m’as immédiatement proposé de jouer dans ton groupe de punk-rock. Ton groupe s’appelait les « Scandales à Perpignan » . On devait faire un concert au lycée Turgot (mon lycée de l’époque). Comment j’étais fier. Fier qu’un « grand » punk me demande à moi, jeune musicien novice, de jouer dans un groupe de punk. Avec ton sourire contagieux, ta gouaille et ton optimisme à toute épreuve. Ton nom, en cette époque euphorique de miterrandisme triomphant, c’était Coq. Tu m’as servi plusieurs explications douteuses sur le pourquoi de ce sobriquet. Aucune ne doit être véridique. Nous nous sommes immédiatement liés d’une amitié toujours vivante aujourd’hui. Avant que tu ne squattes tout Paris, c’est moi qui ai rapidement squatté chez toi après mes cours.
Je me souviens de cette soirée passée avec tes colocataires de l’époque, Un nommé « Tueur » et un autre… qui donc ? Peut-être ton vieil ami de Montalieu, d’enfance, ton guitariste « Fif Mortel »qui était monté avec toi à la capitale. Alors on était là, à boire des Chihuahuas tranquillement, lorsque des impacts persistants se firent entendre aux carreaux. Tes fenêtres donnaient sur celles de la chambre à coucher de mes parents. « T’inquiètes pas, c’est juste ton père qui nous balance des pierres. Il fait ça dès qu’on fait trop de bruit ! ». Mais tu faisais toujours du bruit !
Et puis ça s’est enchaîné. Les « Scandales à Perpignan » sont devenus « Bernadette Soubirou et ses Apparitions ». On a répété où on pouvait, on jouait où on trouvait (même les catacombes en descendant les échelles avec les amplis à piles sur le dos), tu venais me chercher pour qu’on fasse la manche dans le métro, dans les rames, parfois accompagnés de ce Casse-Pieds de Daniel. Et j’avais quinze ans et toi vingt-deux. Le show du métro était bien rodé. On saluait les usagers d’un immuable « Salut les fans, désolé du retard mais on a eu du mal à garer la Rolls » avant de se lancer dans le « That’s allright Mama » d’Elvis version « Le Métro Parisien moi je l’aime bien », et dès qu’on avait récolté les 200 francs nécessaires à notre quotidien on s’arrêtait.
Un jour tu me dis « Les initiales de Bernadette Soubirou et ses Apparitions c’est BSA, et les américains ils s’appellent USA, ils nous piquent la vedette ! »
Alors on a fait un courrier à l’ambassade des états-unis d’Amerique pour leur demander de changer le nom de leur pays ! Pour qu’il ne s’appelle plus USA puisque ça pouvait prêter à confusion avec le fameux groupe BSA. Nous préférions un arrangement à l’amaible plutôt qu’un procès retentissant qu’il étaient surs de perdre ! On a même reçu une réponse très polie de l’ambassade des USA . Ils étaient désolés de ne pas pouvoir accéder à notre demande. On a ri à ventre déployé en rédigeant cette blague surréaliste et encore plus en lisant leur réponse.
Et puis il y a eu ta période rose : je me souviens de ce concert au premier lycée autogéré de Paris Porte de Vanves où tu étais en rose de la tête à la moto. Cheveux ? Roses ! T-shirt ? Rose ! Pantalon en cuir ? Rose ! Blouson ? Rose ! Guitare ? Rose ! À la deuxième guitare c’était Alain Montigny que tu avais naturellement baptisé « Montagne », à la batterie, Francis Guillon que tu as appelé « Saucisse ».
Et puis il y a eu l’enregistrement du 45 tours : « Vas-y Gégène » avec « Les Vieux faudrait les tuer à la Naissance » en face B. Avec mon frère Lolo à la basse, Fif Mortel et Daniel Jamet aux grattes, Saucisse à la batterie, Steff, Gepetto et moi aux saxes. Et la Voisin, devenue cheffe des multiples choristes qui ont défilées au gré de tes conquêtes, aux chœurs bien sûr.
Et puis il y eut les concerts. Plein, multiples, partout, Des petites salles, de la province, les tournées en Bretagne (les meilleures) ou tu arrivait sur scène en gueulant « kénavo ! » Et puis des plus grandes : La Saint Matos au Zénith de Paris, L’Elysée Montmartre en première partie des Toy Dolls. A l’Elysée on avait gobé des acides avant de monter sur scène pour nous changer de notre quotidien. C’était pas une bonne idée. Je m’en rappelle bien parce que je ne me rappelle de rien.
Et puis le festival de rock de Montalieu ! Le pur mix entre ton besoin de camaraderie, ton envie de jouer du rock’n’roll, ton opiniâtreté et ton inconscience, dans un esprit de retour aux sources. Organiser un festival de rock alternatif dans la salle des fêtes de ton bled natal, avec uniquement les groupes de tes potes comme programmation ! Rien que le prix du car et les exigences de certains, c’était couru d’avance que tu y laisserai des plumes. Mais on s’est payé en moments rares, inoubliables. Le public c’était nous, les musiciens des groupes. On s’écoutait, s’appréciant ou non, vannant et complimentant avant de monter sur scène à notre tour.
Il y eut tes squats. Tous tes squats. Celui que tu appelait la « basse-cour » avec tes poules, canards et lapins qui y traînaient (étais-ce ce squat là dont on accédait par un toboggan ?). Grâce à toi j’ai même eu la Légion D’Honneur ! Tu avais ouvert un appartement dans les beaux quartiers, qui s’est avéré être le bureau où l’on stockait les futures décorations nationales napoléoniennes. Je pense t’avoir fait honneur de ta légion en arborant la rosace fièrement épinglées à mon blouson de cuir. Tous ces squats dont tu as dû partir viré par celui auquel tu avais offert l’hospitalité, parce que tu avais une trop grande confiance dans le genre humain. Parce que tu y invitais généralement l’inévitable profiteur. Le violent qui finissait par te foutre dehors de chez toi. Et toi, mon ami, mon humaniste, à te demander pourquoi des êtres humains pouvaient avoir si peu d’humanité. « Ben, pourquoi y fait ça c’est pas cool ». Comme cette fois où un de tes hôtes que tu appelais le « Taureau », voulant te virer de chez toi, nous as poursuivi dans l’appartement ; et toi et moi, apeurés, fuyants, à vouloir tous deux passer par la même porte, nous nous sommes retrouvés coincés, piégés dans le chambranle comme dans un film des Marx Brothers.
La raclée qu’il t’a infligée, à coups de lattes dans la figure devant mes yeux apeurés à tout de même donné naissance à notre premier 45 tours : « Vas-y Gégène », paroles trouvées à l’hôpital, multiples fractures du nez créatrices d’idées merveilleuses (Vas-y gégène, à toi l’oxygène, si tu veux mieux respirer, faut t’couper les poils du nez).
Il y eut bien plus tard ce squat du Père Lachaise dans lequel nous tournions des sketchs pour notre web-tv (époque modem 56k). Tu avais crée « Migraine et L’Angoisse » sortes d’Ernest et Bart dépressifs, des marionnettes en mousse que tu avait fabriquées et auxquelles nous donnions la parole. Elles trônaient à côté de tes « Anivélos » (comme le Vélotigre, le Vélozèbre, et le Vélopute que tu m’avais prêté). Jusqu’au jour où il t’a été impossible de faire vivre un squat plus de deux jours avant de te retrouver viré par les gros bras des marchands de bien. Alors tu as bossé pour un appart légalement payé. Jardinier pour la mairie de paris. Avec ton véhicule municipal transformé en coccinelle. Ça te ressemblait quelque part. Toi, le poète, l’amoureux de la nature, des animaux, toi le plus jeune taxidermiste de France que même tu avais ta photo minot dans le journal, toi et tes corbacks, tes corneilles Merguez, Couscous et Mojito qui te suivaient et te parlaient.
Je me rappelle de ce concert au festival médiéval de Chinon. De ta tristesse quand Daniel nous a quittés pour la Mano Negra, et de ta joie quand la même main Noire à rendu à Coq ce qui revient à Karoll en te permettant d’enfanter de ton album « Je vous Salis ma Rue ». Et puis la vie. On se voyait un peu moins souvent. Mais chaque instant retrouvé était rempli de rires et de Jean-Michels. On a enregistré des blagues musicales chez moi. Des moments où se voit, des moments où on se voit moins…. Et puis la dernière période.
Tu as débarqué dans mon bar. Ma femme te connaissait depuis déjà longtemps sans que je ne le sache. Encore un lien qui nous ressert malgré nous. Elina ne m’avait jamais vu rire autant en compagnie d’un ami.
Toute notre complicité à ressurgi, le moindre calembour, le moindre Jean-Michel nous faisant rire aux éclats. Imagine que tu aies perdu le sac à rire de ta jeunesse, ta boite à conneries depuis trop longtemps égarée, et que tout d’un coup, sans carte au trésor, on la déterre ensemble. On à ri comme on a toujours ri, on a ri comme hier, ensemble à nouveau, d’un rien.
On a enregistré un nouveau morceau. En Virelangue. Toi, moi, un piano et un micro. Le grain se moud-il ? L’habit se coud-il ? Oui, le grain se moud, habit se coud !
Puis, tu m’as parlé de ce fils, celui dont tu m’a appris l’existence quand tu squattais la cave de mon immeuble vingt-six et quelques années auparavant. Ce fils retrouvé, ce conte de fée verte improbable et merveilleux. Cette rencontre qui t’a tellement émotionné comme tu m’as dit. Ta descendance que tu n’aurais pu imaginer si parfaite. Tu n’aurais jamais pu imaginer que la chair et le sang d’Alain Meyer, Coq, Karoll Vengeance soit une telle réussite d’humanité. Il est comme toi. Il a ta beauté.
La dernière fois que l’on s’est embrassés c’était à l’hôpital. Tu avais des projets plein la tête et des jambes comme mon index. Tu regrettais de ne pas réussir à écrire toutes les idées farfelues et poétiques que tu voulais réaliser en sortant. Elina à pensé t’offrir un dictaphone pour que tu puisse y déverser le dedans de ta tête féconde et créative. Nous étions sûrs de voir encore une fois pour te l’offrir. Raté !
Embrasse Eddie Cochrane pour moi. Et, avant de lui vendre un des rares poils de ton torse, quand il te demanderas comment tu vas, juste un truc mon coq, mon ami, réponds-lui « Et toi-le des neiges Jean Michel ? »
Voir en ligne : La page Facebook de K-Roll Vengeance et les Apparitions
Photo © Chloé Kaufmann
Publié le lundi 2 septembre 2024